Wednesday, October 18, 1995

Delhi


Sous l'aile du Katmandhu-Dehli RA205, émergeants de la mer de brume, le Daulagiri, les Anapurnas, le Manaslu dans le soleil éclatant de l'aube.
Puis le lit asséché du Gange, large comme les dunes d'Aquitaine.

Quelques instants et pieds plus bas, la fournaise et la multitude.

A Red Fort, toujours à la recherche d'Haddock et de son petit copain, ils traversent la meute des guides et vendeurs de babioles sans rien concéder,  tour de force résultant de la mise en condition népalaise.
- Suivez-moi sans rien dire, chuchote Ma à la descente du taxi qui les dépose le plus loin possible de l’entrée du fort.
I am the guide rétorque-t-elle avec autorité aux vendeurs ambulants, fendant leur foule. 
Et levant le bras,  
- Follow me gentlemen, hurry up ! 

Dans Old Delhi, étouffés, meurtris, gorgés de trompes stridentes, de la fumée âcre des pots, des pétarades, des cris des poules égorgées, des violentes senteurs de poissons et d'épices, de bouchons dans les ruelles de tout ce qui peut marcher et rouler, d'enfants gémissants amarrés à eux, ils finissent par s'engouffrer dans le bathyscaphe de Sat Nam Waheguru.
A l'arrivée, une dernière traversée de mendiantes, enfants dans leurs bras, agrippant  les nantis, ils atterrissent au rayon meubles d'un grand magasin de New Delhi. Air conditionné, canapés. L'ombre du moindre sari fait néanmoins sursauter AJJ qui voit dans cet innocent morceau de tissu une mendiante prête à lui arracher le bras.
Soudain, bref passage d'un couple de musiciens ambulants qui, comme des montreurs d'ours, font danser et chanter à coup d'engueulades un jeune enfant enturbanné.
Old Delhi laisse une impression mélangée de Moyen-Âge et de Science Fiction. Moyen-Âge par le mode de vie, SF par la multitude compacte et les éclairs de modernisme.


Alors que les trois lascars gisent sur la banquette arrière, Ma, assise à l'avant, supporte vaillamment les assauts d'un taximan particulièrement tenace. Il veut les amener faire du shopping ou les conduire à l'aéroport alors qu'ils vont à une adresse précise donnée déjà dix fois. Après avoir tourné cinq fois sur le cercle extérieur de Conaught Place  - il faut bien gagner sa vie -  il les lâche, après 3/4 d'heure de route, à 200 mètres de la prise en charge.
- A c'prix là, t'arrête un tax, tu lui file 60 roupies pour qu'y te prenne pas, marmonne AJJ!

Le «tranquille jardin du Maharani», chaudement recommandé par le GDR, s'avère être une étroite bande de gazon, le long de la grand-route, où gisent une seule table et quatre chaises qui semblent les attendre depuis la réincarnation de Jésus en Mouhamad. Pour couvrir le vacarme, ils conversent à l'aide de mégaphones prêtés par la réception.

Re-taxi, conduit par un Sikh adorateur d'une sorte de Père Noël et ils arrivent enfin chez eux, les Spatiens. Dans l'air parfumé, sous la voûte gigantesque et les immenses verrières, parmi les jets d'eau, les tapis, les musiques, les ascenseurs damasquinés, les femmes orientales aux gestes lents, ornées de chapeaux pastels, les vasques de fruits exotiques, ils tournent doucement dans l'espace sidéral, la Terre grouillante au-dessous d'eux.


- Je n'aime pas beaucoup ces jeunes femmes qui mendient avec un enfant dans leurs bras, professe AJJ en dégustant un plat délicieux dont une seule bouchée représente mille salaires annuels de terrestres.

- Le violoniste a un style particulier. 
- On se demande s'il joue des transcriptions asoniques modernes de vieilles rengaines.
Deux heures plus tard, le violoniste accordait toujours. Ou bien, comme se le demandait Mat, jouait-il "La Vie en Rose" façon Platine 1910 sur tender de loco à vapeur lancée à grande vitesse...
- Plus je bois, mieux il joue.
- Il a un style très personnel.


Soudain, dans cette atmosphère aseptisée, Germ frappe. Il pleure, la moque lui coule du nez, il charogne et jure à haute voix, rouge comme un derrière de mandrill.
- Qu'est-ce-qu'il a à faire un ramdam pareil, simplement parce qu'il a croqué un haricot, se demande AJJ ?

Plus tard, Mat s'y met aussi. Il se frotte l'oeil après avoir touché le même haricot et précipitamment va se rincer l'oeil aux toilettes. Il en profite pour s'asseoir sur le trône.

- T'es peinard, raconte-t-il, tu t'installes et, tout à coup, en plein effort, un geyser de flotte monte, te mouille jusqu'à la chemise. Et ça recommençait automatiquement toutes les minutes. Je me disait "Cool, WC avec marbre et tout ..."

Lorsqu'à minuit, ils quittent le Sheraton, AJJ laisse 10 roupies au "Bell Captain", majestueux dans son smoking impeccable. Il en a un haut-le-corps dédaigneux.

A Indira Gandhi Airport, lorsqu’un simple ivrogne s’engouffre dans le même ascenseur qu’eux, l'AJJ est convaincu qu’on les attaque.





Monday, October 16, 1995

Thamel

Un enfant mendiant implore, tend les mains. Il insiste. AJJ lui donne une mandarine au lieu de l'argent qu'il attend.
- Aaatchaaaa !!
retentit derrière lui. C'est un marchand souriant qui vient de choper le rhume du rickshow à moteur. Ma explique la signification du mot (= d'accord).

Ils sont attablés dans un resto populaire, sorte de garage à motos sans fenêtre avec une grande bâche pour empêcher les mouches de sortir.
- Super. La vraie vie, tu vois mec.
Les gamins sont beaux, ils galopent à moitié à poil dans la rue. Ils ont de ces sourires et de ces regards.
Ladu : boule de pâtisserie brune, sucrée, très concentrée, assez grosse.
- S'obtient, dit Mat, en donnant dix plaques de chocolat à un Yak, puis en recueillant la crotte.
Un peu farineux, mais excellent.
Quatre tchai. Vingt roupies.

Friday, October 13, 1995

Everest

Contemplation lointaine du Chomolungma, sorte de Mont Blanc asiatique.
Maurice: Y sont dans le besoin.
Marcelle: Dans le besoin d'éducation surtout.
Maurice: Ah, ça se découvre!
Renée: A droite, y'a le Nupse.
Maurice: C'est beau!
Marcelle: Il a l'air plus petit. 
Maurice: Quoi?
Marcelle : L'Everest
Maurice: C'est parce qu'il est plus loin.
Renée: A droite, c'est le Nupse.
Maurice: Cette petite pointe qui dépasse, c'est l'Everest.
Marcelle: C'est quand même bien dans les nuages. Mais bon, on l'aura vu.
Renée: A droite, c'est le Nupse.
Marcelle: Ouais, ouais...Regardez! Il apparaît, une pointe derrière!
Maurice: Parce que le Mont Everest, c'est quand même pointu.
Renée: Pas pointu, pointu...
Marcelle: On a de la chance, parce que la semaine dernière, on l'aurait pas vu.
Renée: A droite, c'est le Nupse.
Marcelle: Ouais, ouais.
Maurice: C'est malheureux qu'on n'ait pas pris les jumelles. Impardonnable, impardonnable.
Marcelle: T'es un adulte, on doit pas penser à te dire tout!
Maurice: Mais on voit bien quand même.
Renée: A droite, c'est le Nupse.
Marcelle: Ouais, ouais.
Maurice: Tu n'as pas froid ?
Renée: Si y sont pas trop long à te donner ton jus de citron.
Maurice: On aurait dû s'habiller.
Marcelle: On va aller à l'intérieur.

Wednesday, October 11, 1995

Buffles et vaches

Une large berge plate, des enfants, un mort dans un linceul blanc. Des centaines de buffles, la croupe noire, luisante, marquée de ronds éclatants de peinture jaune ou bleu clair. L'endroit où on les abat : des pattes, des queues, des cornes, de la merde de peur. Dans le fleuve, un paysan fait boire ses bêtes et lave leurs croupes.



Buffle : choyé, dorloté, ripoliné, égorgé.
Vache : abandonnée, famélique (pas tant que ça), libre, employée free-lance de la voirie municipale, se marre en provoquant des accidents d'humains, couchée  sur la chaussée en sirotant un Pepsi.
Dans 3 millions d'années, les buffles, qui auront pris les coucous thaïlandais comme consultants, auront mutés. Ils seront déguisés en vaches.
Malheureusement pour eux, il y aura eu, entre-temps, un changement à la Présidence, Krishna ayant balancé Vishnu. Les Buffles sont à présent sacrés. Quant aux vaches...



Tuesday, October 10, 1995

Réveil à Thamel

Moineaux,

Corbeaux,

Puis chiens sur fond de moineaux,

Six heure, première toux humaine sur bruissement d'ailes,

klaxon lointain, premier moteur.

Pneux, portière qui claque, conversation intense en Ghopalais,

Pas terrible. Avec des muezzins, se serait quand même mieux. AJJ se fait Khomeiniste et se rendort dans un chant intense d'oiseaux:

Tui tuit, tuit,
Tu, tu, tu, tu ; tu, tu, tu
R'rrr, rorro, rerre, rerrr, croa, crao, tui, tui, tuit,
Tchi, tchip, tchip, croooo, crooo, rrerrorre, rrrrrrrrrr,
Clap, clap, clap,
Pouet, pouet,
Chloc.
Un enfant pleure entre deux croassements de vautours.

Sept heure, frottement alerte et rythmé sur le sol de quelqu'un qui balaie devant sa porte (ça arrive).Un homme vomit bruyamment et longuement.
- Non, ce n'est pas un touriste qui soigne une cuite. C'est un Hindouiste qui se purifie. Il fait ça tous les matins à jeun.
Il a dû y parvenir car la clochette de la Puja retentit. AJJ s'indigne de dieux qui font vomir leurs fidèles tous les matins.
- Pas étonnant que l'Islam gagne du terrain.
Dommage. Car l'Hindouisme, par son polythéisme, ne peut être que tolérant.



Friday, October 06, 1995

Porteurs

Sur la place principale de Pathan, au pied d'une colonne supportant Bouddha sous les najas (pour les érudits aventurés dans ce texte, Amogasidi), les porteurs attendent. Ils n'ont pour toute fortune qu'une corde. Certains sont âgés ou font âgés. Quand tu vois ce qu'ils portent...
Arrive une moto japonaise rutilante. Dessus, un casque, un mec, des couilles et tutti quanti. Le jeune mec interpelle un porteur, lui propose un travail. Tous les autres s'agglutinent autour du chevalier casqué pourvoyeur de vie. Les palabres terminés, il repartira, roulant au pas, suivi des cinq avec lesquels il a conclu.



Thursday, October 05, 1995

Téléphone en Suisse

Impossible d'appeler après 22.00h. Pour attraper Orelle au saut du lit, c'est à dire entre midi et deux heures en Suisse, l'étroite fenêtre d'appel se situe entre 16.45h et 19.00h.
Posté l'oreille aux aguets aux côtés de Mat, un employé de l'hôtel attentif et souriant enclenche un gros chronomètre portatif des années cinquante dès qu'il entend la tonalité.
Répondeur.
Trois cents roupies. Il laisse mille roupies et obtient un "Oh big money !" plus une attestation de sept cents roupies.





Anil

Dans le foisonnement des temples et des statues, témoignages éclatants d'une civilisation extraordinaire, des odeurs d'épices, des robes ocres des lamas, des rouges et or des saris, des lions, des boeufs, des éléphants de pierre, ils rencontrent, dans une ruelle de Pathan, Anil, sorte de Tchang, garçon de dix ans, chrétien.
Quand Germ a dit à Anil qu'il n'était pas chrétien, mais sans religion, il est demeuré silencieux. Une heure plus tard, Anil touche le bras d'AJJ.
- You are not Christian?
- Yes, a little.
Il a souri, le visage illuminé. Dans un pays si habité par les dieux.

Précis de conduite

En taxi
Routes étroites, encombrées, échoppes, vendeurs accroupis, piétons, porteurs à pieds nus ployant sous des charges incroyables (vous vous souvenez Tintin au Tibet?), vélos, rickshaws, triporteurs, motos, autos, camions, le tout dans la poussière, de légères vapeurs d'essence et le vacarme des klaxons.
Tout ce petit monde roule à gauche, dans le cas bien sûr où il y aurait un Stupa au centre d'un giratoire :
- Toi passer à gauche, Sahib, toi passer à gauche!

 - Précis de conduite -
1er commandement : tu klaxonneras sans cesse.
2ème : tu fonceras sur le véhicule qui te fait face en fonction inversément proportionnelle à la taille de celui-ci.
3ème : tu ne t'écarteras pas du droit chemin car c'est à autrui de le faire.
4ème : tu ne mettras pas la ceinture de sécurité car il n'y a pas pire offense pour un conducteur népalais.
5ème : tu garderas ton calme en toute circonstance.
6ème : tu n'écrabouilleras ni mendiant ni enfant.
7ème : tu passeras par-dessus les vaches sacrées.
8ème : tu n'allumeras pas tes phares la nuit pour ne pas déranger les chiens qui dorment au milieu des carrefours.
Et ça marche !



Taxi, leçon No 2 ou "Ma ne doute de rien"

Le chauffeur fait mine de partir avant d'avoir enclenché le compteur. Ma le rappelle dans le droit chemin. Le chauffeur se rebiffe.

- Vous êtes quatre, vous n'avez pas droit au compteur.

- Bien, dit posément Ma, dans ce cas, nous prenons un autre taxi.
AJJ ouvre sa portière pour appuyer l'argument. "Ainsi le chauffeur ne pourra pas partir sans risquer sa portière, eh,eh..."

Ils sont trop forts pour lui. Le compteur se répare sur le champ. Oh, lecteur si patient tu es, tu auras droit à une troisième leçon sur la conduite de nuit.


Wednesday, October 04, 1995

Autour du stupa de Bodnath

Le soir venu, avant la nuit, les fidèles marchent autour du stupa, d'un bon pas, devisant ou psalmodiant. La foule est bigarrée, de tous âges, paisible. Seuls quelques porteurs s'aventurent à contresens. La circonférence est d'environ 300 mètres. Elle est bordée d'échoppes.

C'est là que ça l'a prise. Epargnée jusqu'alors, l'attaque n'en est que plus violente. Ma à la recherche du démon, prise par lui, possédée.
Il y a très exactement dix-sept échoppes qui vendent des statues autour du stupa. Dans chacune d'elles. elle s'enquiert du Mahakala Tchadroupa, le protecteur courroucé. Mais pas n'importe lequel. Il ne lui faut ni le Mahakala rouge, ni le vert, ni le blanc, ni le jaune, non!    Seul le black one, le tchadroupa! Il y a dans ces boutiques, plus de statues tantriques, hindouistes et bouddhistes que dans toute la vie de bourlingueur d'AJJ. Et pourtant pas plus de Mahakala Tchadroupa que de cirage sur ses godasses. Ils virent des statues de Narsingha, Shakti et même du terrifiant Bhairab, des effigies de Pashupati bien sûr et de nombreuses Machendranath ou Avalokitesvara. Ganesh et Vajrasattva leur apparurent dans la lumière des vitrines ou dans la pénombre des arrière-boutiques. Hanuman simiesque et les dix incarnations de Vishnu étaient aisées à repérer. Sans compter les communes Parvati, Saraswati ou encore les intrigantes polychromes tara. Mais pas de Mahakala Tchadroupa.

Les marchands sont troublés, ils croyaient tout avoir, ils n'ont rien.

Ma, par la générosité qui la caractérise, finit par acheter deux statues à deux marchands différents afin de laisser quelque espoir aux quinze autres pour l'année suivante. Et ce n'est pas tout! A chacun, elle a commandé un Mahakala Tchadroupa. Alors, touristes ou pèlerins de la fin du millénaire, vous saurez pourquoi on trouve tant de Mahakala Tchadroupa autour du stupa de Bodnath.

Monday, October 02, 1995

Un thé à Baktapur



Depuis deux jours au Népal, AJJ est aux prises avec ses démons intérieurs à côté desquels la statuaire dédiée à Kali fait pâle figure. Il fait beau et chaud. C'est l'été. les gens sont charmants sauf les cireurs de godasses. Il est avec ceux qu'il aime, la ville est d'une grande beauté contrastée. Et pourtant, il s'ennuie, il est décalé, déprimé. Il n'est pas là, souhaite se trouver ailleurs. Les événements se précipitent. Ma, oubliant le torticolis d'AJJ, le serre amoureusement. Pour la quatrième fois consécutive, il hurle : Mais j'ai mal au cou, nom de Dieu, merde ! ; ça jette un froid. Tout s'est dilué peu après devant une tasse de café matinal "triple strong" (légèrement plus clair que du thé), sur un air indianisé de "Il était une fois dans l'Est".

Tout avait pourtant bien commencé. Arrivée en Syldavie dans les années quarante. Superbe tampon en forme de Pélican, inscription à la plume, sur le passeport de Mat, de la marque et du numéro de sa vidéo. Dans le taxi qui les amenait en ville, les trois néophytes, pétris de culture télévisuelle, avaient l'impression d'avoir pénétré dans un film. Etait-ce le contraste avec leur  environnement habituel ? Etait-ce la banalité de telles scènes, tant et tant de fois vues sur écran ? Plutôt la collision des deux. C'est là que le début du mal s'est incrusté. Cette impression tout à la fois de scènes mille fois vues et non vécues.

- Oui Docteur, J'en suis certain à présent, c'est là que tout a commencé.


Mais revenons à ce mardi matin. Alors qu'il allait mieux, une mendiante portant un bébé, puis un cireur de chaussures, se sont donnés le mot pour l'enfoncer. Difficile de siroter paisiblement son café et mordre dans un savoureux pain au raisins sous les yeux implorants de cette femme. Germ craqua heureusement et, pour 5 roupies, la conscience d'AJJ fût soulagée. Pas cher.

Ses compagnons ne chaussant que du tissu, AJJ était la seule cible des cireurs. Ils l'ajustaient d'autant plus que ses souliers étaient usés. Le prix à payer du look baroudeur.
Dorénavant, AJJ portera la godasse "Europe" normale en Europe et, en Asie, les pompes "Asie" toujours neuves et super lustrées. Il les lustrera lui-même le soir dans sa chambre pour qu'on lui foute la paix dans la rue. Ce troisième jour, ses chaussures sont toujours aussi cradocks. Combien de temps parviendra-t-il à tenir face aux assauts toujours plus pressants des 123 cireurs homologués par le gouvernement royal ?
Le défi est d'envergure et sa défaite programmée.

Première vraie rencontre en dessinant. Un enfant est venu lui dire bonjour, souriant, ne demandant aucun argent. Intrigué, silencieux.

La misère dans la rue et la splendeur des temples.

Le comble de l'occidentalisme: commander un milk-shake dans un resto tibétain à Bodnath. Germ a réussi l'impossible et les séquelles de sa nuit blanche s'évanouissent dans le plaisir du frappé vanille.

Pour la première fois, ils mangèrent de la salade car Ma leur avaient déclaré que les Tibétains tenaient leur promesse. Comme il était écrit: "les vegetables sont lavés au permanganate de soude", ils ne risquaient rien. Malgré le pro-tibétanisme suspect de Ma, AJJ suivit le mouvement général. Il ne souhaitait pas, en bonne santé, avoir trois malades sur le dos. Facture finale sur un air des Beatles et un lit de cure-dents sculptés : 289 roupies, soit à peine Sfr 6.-- pour quatre, y compris le milk-shake-banana-split. Et quels sourires, quelle gentillesse ! AJJ prend quelques cure-dents pour les goyaves dont les pépins trouvent si aisément le chemin de sa prémolaire droite supérieure.

Le mal serait-il la dépression nervous? AJJ a de nouveau envie de fumer.

Avec son gilet de pêcheur norvégien, Mat dit d'AJJ qu'il est venu pêcher le saumon au Népal. Il ne manquerait, selon lui, que le moulinet d'argent à la ceinture et les cuillères métallisées aux poches extérieures.

Germ et AJJ, envoûtés par le charme de l'Orient, aspirent à la simplicité. L'un souhaite s'enfoncer seul dans l'Himalaya, marchant des mois dans un univers hostile, l'autre aimerait vivre quelques semaines en Saddhou à Calcutta. Malheureusement ces hautes aspirations ne sont guère comprises par certains et Mat s'empresse de réduire Germ à l'état de "Star-Trekeur" et AJJ à celui de "Saddhou-Gortex".

Ils ont trouvé un truc pour échapper aux c.g. : se promener incognito en se tenant par la main.
Vous n'aurez pas été sans remarquer, cher lecteur et bla-bla-bla. Bref, les lignes qui précèdent ont été écrites le soir sous l'empire de l'alcool, celles qui viennent, avant le triple black du matin. Ceci vous permettra de constater les effets ravageurs de l'alcool sur un esprit sain.



Depuis le toit du quatrième, la voisine bazarde ses détritus dans la rue . Elle récidive trois fois. Et floc, plotch.