Friday, October 20, 2006

No Split (1)

Le parfait voyageur ne sait où il va, Lao Tseu
Samedi 30 septembre, 8h, sur les ponts qui franchissent l'autoroute, «Bonnes vacances Sabina», «JTM Sabina, Beckam»

9h Saxon, le soleil frappe les vignes de la rive droite au-dessus des falaises. Un bout de brume tarde à se dissiper.
10h Betmeralp, de tunnel en viaducs, course avec le train rouge des chemins de fer rhétiques.
10h30 début de la montée vers la Furka. Terra incognita. Je laisse passer une meute d’autos et j’attends dans le silence. Crissements, les six wagons rouges arrivent. A mon tour !
Niederwald. La vallée s’évase, le Rhône s’est transformé en Sarine, une cloche sonne onze.


Gluringen, une invraisemblable église blanche au milieu d’un champ vert.

Rechingen, 1er clocher oignon.

Münster et on voudrait interdire les minarets!
Ulrichen, choisir entre Furka et Nufenen. La vallée est devenue si plate qu’elle a produit un aérodrome et un golf.

Midi, Furka, pas le temps d’admirer, se faufiler entre quanta de motards et cyclistes immobiles.

13h Andermatt, eh oui , il y a de grands malades qui font la Furka en vélo ! Soleil, joli coin, terrasse, les panzerotti al pesto permettent d’échapper à la Bernerteller et autres schnitzel incompréhensibles mais pas au panzerotti à la mode uranaise. Altdorf n’est qu’à 30 km, bizarre d’entrer en Valais et de se retrouver à Uri.
Flash-back, vendredi soir – Ma me refile un bouquin de Mathieu Ricard. J’ai déjà 3 livres, j’hésite. Si je l’ouvre au hasard et que la première phrase me séduit, je le prend. Ça parle de l’indécision qui ne serait pas positive. J’embarque le bouquin et décide enfin de partir à l’aube. 
Andermatt, à la fois confins et centre. Le Ticino, l’Aare, la Reuss, le Rhin, le Rhône naissent là et s’en vont aux 4 point cardinaux. Il ne manque que le Pô.
17h Surlej, 12 degrés, la Maloja souffle fort , les parapentistes-surfeurs se donnent à fond.


Lendemain - Descente du plateau de St-Moritz, moins il y a de soleil dans le ciel, plus il y en a dans les mélèzes.
Parc National, un air de Derborence mâtiné de Grand Canyon. Problème : conduire, prendre des notes, photographier sans se cintrer !
En descendant vers Merano, que de la pomme, rien que de la pomme, des milliards de pommes.
Bolzano, 15h, 23 degrés ! Mi-montagnes autour, sorte de Grenoble. Ici, dire EINE Bruschetta. Joli : de l’arcade, rien que de l’arcade.


2 octobre, « Park Hotel Laurin » à Bolzano. Un peu avant 8h, salle du petit-déjeuner, immense, luxueuse, stucs, trois personnes perdues et forte musique d’ascenseur.  C’est l’heure des représentants, un puis deux, puis quatre solitaires, cravatés s’emparent des tables.  Deux germanophones rejoignent un italien distingué plongé dans « la Republica ». Ils communiquent en mauvais anglais. Au bout d’un moment, un des allemands offre un cadeau à l’italien pensivement embarrassé. C’est un stop-gouttes. Il parvient à articuler un thank you.


Bolzano-Trento, autoroute du Brenner, que du camion.
Trento Nord, après m’être trompé quatre fois malgré le GPS dans les nœuds autoroutiers, je me retrouve sans le faire exprès sur la bonne route.



Treviso, enfin une Italie où on ne parle pas allemand. 24 degrés, soleil.14h, piazza dei Signori, terrasse, petit vent, spag al vongole. Entrée sans stress sur vélo sans vitesse.  Les italiennes sont toujours aussi belles et chics, quel que soit leur âge. Les nappes ondulent, les pigeons finissent les plats, une fille en jeans et talons aiguilles traverse rapidement la place en téléphonant.

Spada, spinaci, hochement approbateur du garçon. Comme un parrain, je prends ma voix la plus grave, je hoche la tête lentement et je dis « E molto buono ». Ça a intérêt à être toujours bon, je ne sais pas dire autre chose.
Hotel al Giardino, 3 octobre, un peu avant 8h, brume en dissipation, le soleil pointe à peine, exactement l’odeur et la fraîcheur humide du Rajasthan de décembre à l’aube lorsque la journée s’annonce chaude. Au loin, diverses rumeurs mécaniques.C’est l’heure des commerciaux qui s’enfilent en vitesse un café derrière la cravate à grosses raies sur chemises fripées. Men in black, costumes, chaussures, bracelets de montres énormes, serviettes molles bourrées, à peine arrivés, déjà loin.


Au hasard d'un soir, dans une rue de faubourg calme, pizzeria-bar « Sport » à côté d’un bureau de pompes funèbres, chaude ambiance, la bière « Sans Souci » et la Romana arrivent si vite que je n’ai même pas le temps d’entamer le Rhinocéros.

Whisky au bar de l’hôtel qui fait aussi bar de rue. Des gars jouent au billard à côté. Des gens qui se connaissent et s’arrêtent pour discuter un instant ou boire un dernier verre. Des québécois rentrent et ne parviennent pas à articuler le numéro de leurs chambres. J’apprends ainsi que pour 87, le numéro de ma chambre, on ne dit pas, comme je l’ai dit jusqu’à présent, otto sette, mais Ottanta Sette. Je le leur dis et on se buananotte en riant. 

Sunday, October 15, 2006

No Split (2)




Treviso,  bicycletté sur les méandres du Sile.


Casale al Sile, campanile comme un gratte-ciel new-yorkais, ocre, ciselé. 


Le 4 octobre, je quitte Trévise avec un pincement de regret pour le spada al balsamico et le tonno au poivre rouge du Nautilus.



Frontière sloveno-croate passée, j’arrive au péage, guérite avec un type en costume olive. Je m’arrête, baisse la vitre et tend la main. Sombre, il bougonne quelque chose d’incompréhensible du genre « Sbrodj ».
- Ticket per favore, je dis !
- Hey Blavec, hoc bluic, dit-il plus fort !
- Bezahlen, me risquai-je avec mon meilleur sourire ?
- PASSEPORTO, gueule-t-il !!


Trois mètres plus loin, même guérite, autre costume, un type en bleu, parements avec « Hrvatska Republika »
- Ce doit être une enclave d’un micro-état né de la guerre de 91, me dis-je, filant doux.
- Hrastack Stxylplitchec ?
- ??- To declare ?
- No, no, niente!
- Gehen-Sie ! et la barrière s’ouvre.
- Bizarre tout de même ce quadruple contrôle, jamais entendu parler de c’te principauté…
J’en suis à ce genre de pensées vaseuses, bloqué derrière un camion.
- Tiens, qu’est-ce que ça veut dire ce HR derrière ? Et la voiture qui vient de dépasser, elle a aussi ce HR !
- Mais bien sûr,  HR ce doit être le nom officiel de la Croatie, Hrvatska Republika!
Reste qu’il y a bien eu quadruple contrôle, sans compter celui pour passer d’Italie en Syldavie, pardon en Slovénie.


Cinq km plus loin, encore un contrôle, sbrodj ! Cette fois, j’me gaffe. Lorsque le gars me dit quelque chose en bordure, je lui tend tout de suite mon passeport. Il rigole et me demande en allemand 5 Kunas.
- Ben oui, c’est la corruption, bien sûr, que je suis bête !
Je les lui refile, il me donne un ticket et la barrière s’ouvre sur... l’autoroute. A part qu’il n’y a pas d’autoroute, le temps de pensées négatives durant une dizaine de kilomètres. Lorsqu’elles sont bien implantées, irruption sur une autoroute flambant neuve.


Plus loin en fin de matinée, loin à l’intérieur des terres au Sud de Zagreb, il ne fait plus que neuf degrés, montagnes du primaire recouvertes de forêts denses qui exhalent des nuées de vapeur comme s’il y avait des milliers de fumeurs géants de havanes. On comprend pourquoi les armées hitlériennes s’y sont dissoutes.
Au Nord-Est de Zadar, on sort d’un long tunnel et tout change. La Forêt-Noire se transforme en Côte d’Azur, le ciel se dégage, une fée modifie la végétation et la température monte de 15 degrés.



Zadar. Hôtel KOLOVARE, tip top dès qu’on en sort. Enorme bloc de style titiste attardé. Tamaris centenaires sur une grève libre comme celles de nos vieilles gravures, panneaux publicitaires devant la mer en sus. Baigneurs, joueurs d’échecs.


En ville, au coucher du soleil, les gosses jouent dans les ruines romaines. Je photographie deux photographes professionnels hyper-concentrés qui profitent des dernières minutes de soleil pour capter la bonne lumière.



Zadar, Vendredi 6 octobre, tombé du lit à 5h30, mon subconscient a-t-il hâte d’arriver enfin au bout du voyage, Split ? Incongruité de ce trajet, Vénétie sans Venise, Dalmatie sans Dubrovnik. Bientôt Split sans Split ?


Voyager seul ne pose pas de problème, ou plutôt ne pose pas les mêmes. Juste une peur avant de partir. Ce n’est pas le moindre intérêt de cette virée en solo. On observe plus, on se recueille, mais on ne peut partager les émotions.


Quitter Zadar au lever du soleil par la route côtière avec un Elvis tardif, la plénitude.
De loin en loin, portraits sur d’immenses panneaux, d’officiers à gueules bien proprettes de nazillons.  HEROJ comme le clament les affiches ou criminels de guerre recherchés par le TPI ? Cette région a été très touchée par la guerre. Le front de mer est reconstruit mais, à peine à quelques km à l’intérieur des terres, maisons encore détruites et criblées de balles, mines.




Split enfin,  le palais de Dioclétien, le but du voyage.
Ai choisi un hôtel dans le palais, piétonnier. Il y a des milliers de visiteurs, des embouteillages en masse, les parkings sont bourrés, les inscriptions sont sadiquement en croate, effet du nationalisme à outrance et mon GPS est mort. Je finis dans la zone piétonne, me parque sur une place pour handicapés, légitime dans mon cas, demande où je suis à deux jeunes filles qui me montrent sur le plan. Je téléphone à l’hôtel.
- Would you have a single free ?
- Yes.
- Where do I put my car ?
- In the parking on the port.
- Ok, yes but... how to get there?
- Where are you ?
- I have just been explained. I see approximately on the map but I cannot tell exactly where I am. There is no car, no name of street, it is a nice big place with beautiful yellow stones, a big old square building...
- Ok, Ok, ok, well, ...you go to the port, you park and you phone, OK ? I will take you up there !
- Euh, Ok…, good, till later.
Et je suis reparti pour un tour, cette fois-ci me perdant dans des collines boisées au Nord de la ville. L’avantage c’est, qu’après avoir repassé cinq fois au même endroit, on sait qu’on y a déjà passé et on essaie autre chose. Ça finit toujours par arriver quelque part.  A ses rubriques « Où dormir ? », « Où manger ? », « Où boire un verre ? »,  le GDR devrait ajouter « Où parquer ? »  C’est juste après avoir décidé de partir dans une île avec le premier ferry et de revenir visiter A PIED,  qu’une place se libère. Je m’y engouffre. C’est une grande avenue écrasée de soleil. L’envie d'uriner m’empêche de penser. Je fonce dans une gargotte, commande un café et fonce aux WC. Île la plus proche, Brac, port de Brac = Supetar 3'000 habitants, traversée une heure. Je reprends la voiture. Suivre « TRAJEKTNA LUKA ». Ça veut dire « Car Ferry ». J’y suis enfin, coincé entre une horde à pied, cent voitures et dix cars qui pétaradent. C’est tout près du Dioclétien. En début d’après-midi, je suis enfin parqué en face du dock Supetar. Déjà le calme des îles. Ambiance de port, familier, le vent de la mer. Un camion-remorque tente de sortir en marche arrière d’un petit ferry à grand renfort de cris.

Sur le ferry pour l’île de Brac. Athènes sans le Parthénon ? On y survit. Je ne suis pas le seul à avoir été attiré par ce farceur de Dioclétien. Les autocars, le monde, c’est un peu Cnossos. A la proue, dans le vent, quel calme.




15h30, Supertar, Brac, Hôtel Britanida auquel j’ai téléphoné depuis Split. J’ai dit mon heure d’arrivée, il m’attendent. Tout est fermé. Tourné trois fois avec mon gros sac autour du bâtiment pour trouver une porte ouverte. Un voisin aimable est en train de bricoler du ciment. Il m’explique en Croato-italiano-franco-gestuello-allemand que ça va bien finir par s’ouvrir. C’est l’heure de la sieste évidemment. C’est sympa comme endroit. Je cherche un bistrot en voiture, me coince dans les ruelles. Il n’y a que des sans-issue étroits. Parfois il y a quand même le choix, au bout d’une longue venelle, entre le sans-issue de gauche ou le sans-issue de droite. Le gros bourg semble déserté à cette heure, sauf le même vieillard assis sur un muret qui me regarde avec effarement passer quatre fois de plus en plus vite, deux fois en marche avant et deux fois en marche arrière. Cet hôtel fermé, cette ville morte, c’était le destin positif. Je  décide illico de partir à Bol, à une trentaine de kilomètres. En bord de route, dans la pinède, un chat m’adopte. 


Cinq heures, entrée de Bol. Je m’arrête et respire un bon coup. Ce coup là, j’ai peur.

Je l’aurai mérité cet hôtel de charme, le seul. Je parviens pil poil dessus. Il est ouvert. L’île est belle, Bol aussi, il faut juste que je m’habitue car je n'ai pas fait exprès d’être là. Chassé de Split par le trop, chassé de Supertar par le trop peu, choisi Bol parce que c’était simple à retenir et qu’il porterait chance à un francophone. Puisqu’on est dans les superstitions, l’endroit s’appelle « Villa Giardino », comme celui de Treviso. Six heures, bière et coucher du soleil sur le petit port. Juste l’animation qu’il faut, tout est ouvert, on n’entend parler que croate aux terrasses, ne manque que Ma : qu’elle aimerait cet endroit ! Ai donné ma lessive, un signe.
Sept heures et demie, pizzeria Topolino, le serveur  souriant fait des kms. Quatre jeunes-filles allemandes blondes. L’une laisse ses longs cheveux pendre, la deuxième les coince derrière les oreilles, elle réajuste à chaque mouvement de tête comme elle l’a vu faire dans les films, la troisième les a attaché en queue de cheval et la quatrième les a coupés à la garçonne. C’est la seule qui ne fait pas de mimiques. La queue-de-cheval fume, tient en même temps son verre, son couteau, sa fourchette et son téléphone, discute parfois avec les autres mais regarde surtout son portable. Je me sens moins seul qu’elle.

Arrive un guitariste chanteur. Son croate ressemble tellement à de l’anglais que je saisis parfois quelques mots. Plus je descends de cet excellent rouge, mieux il chante. « Café lungo », en Italie un dés à coudre, ici une bouillotte.
Le chat de la patronne est affectueux, une chatte, pas enceinte, seulement heureuse.

Bol, samedi 7 octobre – C’est le moment d’essayer l’adaptateur 220 volts acheté à Trévise, « Adattore Universale de Viaggio con Protezione », un embout général dans lequel glisser l’une des dix fiches possibles. La prise murale a deux trous ronds, mais j’ai quatre fiches mâles bifides de diamètres différents.
- Voyons, avant de fixer la bonne sur la pièce principale, tester si ça colle. 

Des deux pouces sur l’arrière, je pousse à fond dans la prise celle qui semble coïncider le mieux et me prends une décharge magistrale. C’était la bonne. Plus tard, je parviens juste à tenir mon couteau et ma fourchette. Une douleur résiduelle dans la poitrine et la sensation de sortir d'un shaker.

« I know how to kill too sticky boy friends », « totally sexy » affichent les tee-shirts des filles.


La Corne d’Or à Bol, du haut de la falaise à un kilomètre, c’est un pubis de femme avec une toison de pins d’Alep. Lorsqu’on y est, c’est une plage de galets qui font mal aux pieds.
Idyllique mais monotone, chambre, resto, apéro, photos, plage, Internet, Rhinocéros, shopping, apprendre à dire merci, bonjour, dix fois la route du bord de mer en vélo, ça sent le départ.

Saturday, October 14, 2006

No Split (3)

Dimanche 8 octobre 2006 Croatie, île de Brac, village de Bol, restaurant Topolino, table numéro 18, place no 2. SMS de Ma : « BBTA », Belle Ballade Tout Arrive, Beau Bien Tout Accompli, à Bélier Bestial de Taquine Amoureuse ou Bon Bivouac Ton Adorée ?
Hormis deux matelots en tee-shirts rouges, un pauvre milliardaire, seul sur son yacht aérodynamique de plastic blanc.
Nuit noire avant lever de lune, trois tables occupées sur les cinquante de la terrasse. Cramine et force six au large.
A huit huit moins quart, sortie de l’église, animée, chaleureuse, majorité de jeunes femmes.


Lundi 9 octobre, 18h, Topolino
Le chanteur est là. Maintenant on se salue d’un hochement. « …The answer my friend is blowing in the wind… ». Plus que deux tables occupées, j’applaudis la fin de la chanson. La nourriture n'est pas bonne mais c’est le seul endroit où il y a un peu de vie et le vin rouge fait tout passer.
J’hésite entre un Prsut et un Prezeni Krumpir qui, comme chacun le sait, veut dire jambon fumé et pommes frites, ou bien un simple Zajtnk. Pour échapper aux horribles salades de thon et autres spag et pizze, j’opte pour un Prsut, ou plutôt non, pour un Dalmatinska Platta, un Paski sir et une Zelena. C'était pas mal.
- Please a whisky without ice, without water, without whisky, euh...
- Clean.
- Yes, clean that’s it.
Ça n’a sûrement l’air de rien pour les jeunots, mais manger en téléphonant à 3 hôtels de Parme, les 2 premiers complets, depuis le bord de mer en regardant un bateau s’amarrer, c’est vraiment de la SF pour un type de bientôt 60 balais. Demain, l’élastique du Jokari tire dans l’autre sens. Ferry pour Split, visite du palais de Dioclétien, puis ferry de nuit pour Ancona. Mercredi Parma.


Mardi 10, 10h30 sur le ferry pour Split. Je suis enfin un vrai voyageur selon Lao Tseu.
- Pronto, Hôtel Al Castelo in Parma? I cancel the reservation for tomorrow.
- Doberdan, Jadrolinija Ferries ? I cancel the reservation to Ancona.

- Doberdan, Hôtel Galija in Pula ? Do you have a room free tonight ?


Sur l’autoroute ultra-moderne, ultra-déserte, vitesse de croisière autour de 170 km/h alors que limité à 130. Parfois un bolide me dépasse à 200, 220 ? ça laisse le temps de gamberger sur les amitiés, l’amour, le temps. L’esprit fout le camp comme un cheval sans bride. Tiens, on passe au large de Krk ? Téléphoner à mon frère pour le lui dire ? On y était en 1970, ça fait 36 ans ! J'avais quel âge ? Voyons 70 moins 47 = 23 ans, hier. On était bons copains. Je roulais mal, on avait failli se tuer sur une route sinueuse. A Venise, on avait juste l’argent pour un spag napo et j’avais une angine. Krk, ce qu’on a pu rire avec cette prononciation. 
Lunch : un énorme sandwich de conducteur de camion à la mortadelle, acheté au port des ferries à Brac et qui, malgré un machâge lent et rigoureux à 160 km/h, me force de partir à la recherche de mon neutralisateur de bombe à protons.


Pula 17h, belle ville.

Café Uliks, rues piétonnes, boutiques, animé, les mânes de James Joyce sous un petit arc de triomphe romain. Les ruines sont ici antérieures de quelques siècles à celles de Dioclétien.



Soir - après le Hoper du resto, de loin en loin, un réverbère jaune, les pas des rares ombres se répercutent longtemps, enseigne rouge d’un sex shop, clignotante d’un « Casino » ou promis comme tel. E.T. Maison, mais suis à 1'000 km, 2 jours. Etape à mi-chemin, théoriquement Milan à 500 km. Bon, dans les environ de Milan, Bergame, Come ?


Mercredi 7h du mat, je suis où ? Voyons, ah oui à Pula en Yougosl… Croatie. A huit heures moins quart, dans la rue. Dans la fraîcheur, lycéens et écoliers avec leurs gros sacs, roses pour les filles, sombres pour les garçons.

Photo intense, temple d’Auguste, chantier naval, pêcheurs, Colisée local. La lumière est bonne. Pas de monde, pas de cars, rien que la vie normale d’une ville. Agréable mais clichés convenus de ruines et basta.


Un énorme cargo en réparation sur le quai bouche la mer.



« 10h, aubergiste, faites seller Joly Jumper, je pars ! »



On the road again. “TRST 115 km”, devrait être Trieste avec cette manie de supprimer les voyelles. Ils abrègent comme les militaires suisses.
Tous ces insectes assassinés la veille sur la vitre.
E viva Italia, on mange mieux dans un restauroute de Vénétie que dans le meilleur restaurant de Pula. Et en prime, on a le pape à la télé !
Un saut Colapsar plus loin. 18h30, lost in translation. Ne sais plus trop où je suis ? Ah oui, en Italie / Desenzano del Garda / Hôtel Piroscafo, arrrivé droit devant, dans routes piétonnes, au cœur du cœur de la ville… grâce à mon cher GPS qui refonctionne.
Kaperri restaurant. A 9h, je me tire dans le brouhaha. Dans la rue, les vendeurs de roses rouges foncent vers les restos.

« …Tout n’est que luxe, calme et volupté » a dû être écrit dans ce coin-là… et pourtant, à 10 km, Solferino. Notre espèce, sauf Béranger devenu monstre en restant humain, s’est entièrement transformée en rhinocéros. Simultanément, je découvre que Kim Jong Il vient de faire pêter sa première bombinette. Ionesco a raison, nous sommes des monstres, les rhinocéros des dieux.


Piaggia d’Oro 14h ce qu’il fait bon sur cette terrasse, les vaguelettes qui brassent les galets, les gens qui, dans cette langue qui chante et que je ne comprends pas, sirotent la fin de leur vin ou dégustent une cigarette dans un soleil voilé. Il y a des moments comme ça où la vie, le voyage valent d’être vécus. Le quart de bianco qui paraissait beaucoup au début, semble bien peu une heure après.

En Italie, on mange bien. On aime bien aussi. Ce n’est pas la Lombardie qui risque de souffrir de dénatalité. Les boutiques de mode regorgent de lingerie fine, pour les hommes aussi, mise en évidence dans des vitrines transparentes. Toutes les audaces attirent les acheteuses qui les portent. Comme cette jeune serveuse en jeans taille si basse du Kapperi qui aimante les regards de ces trois trentenaires passant commande, le ventre nu de la jeune fille à quelques centimètres de leur table et qui la regardent s’éloigner étonnés, contents, admiratifs.


Le vendredi 13 n'a dissuadé personne. Le grand Milan est couvert d’un fog brun. Circulation intense à six pistes ; ça bouchonne parfois. Vivement les véhicules mixtes, camions compris ! Il suffirait de plonger un anti-écologiste un jour dans cette crasse pour qu’il en ressorte kyotiste acharné.


Depuis hier soir, je carbure au Ricard, un bouquin. Au dernier World Economic Forum, il proposait d’adjoindre au PIB, le Bonheur Intérieur Brut.
3'111 kilomètres à l'extérieur et à l'intérieur.
E finito