Sunday, October 15, 2006

No Split (2)




Treviso,  bicycletté sur les méandres du Sile.


Casale al Sile, campanile comme un gratte-ciel new-yorkais, ocre, ciselé. 


Le 4 octobre, je quitte Trévise avec un pincement de regret pour le spada al balsamico et le tonno au poivre rouge du Nautilus.



Frontière sloveno-croate passée, j’arrive au péage, guérite avec un type en costume olive. Je m’arrête, baisse la vitre et tend la main. Sombre, il bougonne quelque chose d’incompréhensible du genre « Sbrodj ».
- Ticket per favore, je dis !
- Hey Blavec, hoc bluic, dit-il plus fort !
- Bezahlen, me risquai-je avec mon meilleur sourire ?
- PASSEPORTO, gueule-t-il !!


Trois mètres plus loin, même guérite, autre costume, un type en bleu, parements avec « Hrvatska Republika »
- Ce doit être une enclave d’un micro-état né de la guerre de 91, me dis-je, filant doux.
- Hrastack Stxylplitchec ?
- ??- To declare ?
- No, no, niente!
- Gehen-Sie ! et la barrière s’ouvre.
- Bizarre tout de même ce quadruple contrôle, jamais entendu parler de c’te principauté…
J’en suis à ce genre de pensées vaseuses, bloqué derrière un camion.
- Tiens, qu’est-ce que ça veut dire ce HR derrière ? Et la voiture qui vient de dépasser, elle a aussi ce HR !
- Mais bien sûr,  HR ce doit être le nom officiel de la Croatie, Hrvatska Republika!
Reste qu’il y a bien eu quadruple contrôle, sans compter celui pour passer d’Italie en Syldavie, pardon en Slovénie.


Cinq km plus loin, encore un contrôle, sbrodj ! Cette fois, j’me gaffe. Lorsque le gars me dit quelque chose en bordure, je lui tend tout de suite mon passeport. Il rigole et me demande en allemand 5 Kunas.
- Ben oui, c’est la corruption, bien sûr, que je suis bête !
Je les lui refile, il me donne un ticket et la barrière s’ouvre sur... l’autoroute. A part qu’il n’y a pas d’autoroute, le temps de pensées négatives durant une dizaine de kilomètres. Lorsqu’elles sont bien implantées, irruption sur une autoroute flambant neuve.


Plus loin en fin de matinée, loin à l’intérieur des terres au Sud de Zagreb, il ne fait plus que neuf degrés, montagnes du primaire recouvertes de forêts denses qui exhalent des nuées de vapeur comme s’il y avait des milliers de fumeurs géants de havanes. On comprend pourquoi les armées hitlériennes s’y sont dissoutes.
Au Nord-Est de Zadar, on sort d’un long tunnel et tout change. La Forêt-Noire se transforme en Côte d’Azur, le ciel se dégage, une fée modifie la végétation et la température monte de 15 degrés.



Zadar. Hôtel KOLOVARE, tip top dès qu’on en sort. Enorme bloc de style titiste attardé. Tamaris centenaires sur une grève libre comme celles de nos vieilles gravures, panneaux publicitaires devant la mer en sus. Baigneurs, joueurs d’échecs.


En ville, au coucher du soleil, les gosses jouent dans les ruines romaines. Je photographie deux photographes professionnels hyper-concentrés qui profitent des dernières minutes de soleil pour capter la bonne lumière.



Zadar, Vendredi 6 octobre, tombé du lit à 5h30, mon subconscient a-t-il hâte d’arriver enfin au bout du voyage, Split ? Incongruité de ce trajet, Vénétie sans Venise, Dalmatie sans Dubrovnik. Bientôt Split sans Split ?


Voyager seul ne pose pas de problème, ou plutôt ne pose pas les mêmes. Juste une peur avant de partir. Ce n’est pas le moindre intérêt de cette virée en solo. On observe plus, on se recueille, mais on ne peut partager les émotions.


Quitter Zadar au lever du soleil par la route côtière avec un Elvis tardif, la plénitude.
De loin en loin, portraits sur d’immenses panneaux, d’officiers à gueules bien proprettes de nazillons.  HEROJ comme le clament les affiches ou criminels de guerre recherchés par le TPI ? Cette région a été très touchée par la guerre. Le front de mer est reconstruit mais, à peine à quelques km à l’intérieur des terres, maisons encore détruites et criblées de balles, mines.




Split enfin,  le palais de Dioclétien, le but du voyage.
Ai choisi un hôtel dans le palais, piétonnier. Il y a des milliers de visiteurs, des embouteillages en masse, les parkings sont bourrés, les inscriptions sont sadiquement en croate, effet du nationalisme à outrance et mon GPS est mort. Je finis dans la zone piétonne, me parque sur une place pour handicapés, légitime dans mon cas, demande où je suis à deux jeunes filles qui me montrent sur le plan. Je téléphone à l’hôtel.
- Would you have a single free ?
- Yes.
- Where do I put my car ?
- In the parking on the port.
- Ok, yes but... how to get there?
- Where are you ?
- I have just been explained. I see approximately on the map but I cannot tell exactly where I am. There is no car, no name of street, it is a nice big place with beautiful yellow stones, a big old square building...
- Ok, Ok, ok, well, ...you go to the port, you park and you phone, OK ? I will take you up there !
- Euh, Ok…, good, till later.
Et je suis reparti pour un tour, cette fois-ci me perdant dans des collines boisées au Nord de la ville. L’avantage c’est, qu’après avoir repassé cinq fois au même endroit, on sait qu’on y a déjà passé et on essaie autre chose. Ça finit toujours par arriver quelque part.  A ses rubriques « Où dormir ? », « Où manger ? », « Où boire un verre ? »,  le GDR devrait ajouter « Où parquer ? »  C’est juste après avoir décidé de partir dans une île avec le premier ferry et de revenir visiter A PIED,  qu’une place se libère. Je m’y engouffre. C’est une grande avenue écrasée de soleil. L’envie d'uriner m’empêche de penser. Je fonce dans une gargotte, commande un café et fonce aux WC. Île la plus proche, Brac, port de Brac = Supetar 3'000 habitants, traversée une heure. Je reprends la voiture. Suivre « TRAJEKTNA LUKA ». Ça veut dire « Car Ferry ». J’y suis enfin, coincé entre une horde à pied, cent voitures et dix cars qui pétaradent. C’est tout près du Dioclétien. En début d’après-midi, je suis enfin parqué en face du dock Supetar. Déjà le calme des îles. Ambiance de port, familier, le vent de la mer. Un camion-remorque tente de sortir en marche arrière d’un petit ferry à grand renfort de cris.

Sur le ferry pour l’île de Brac. Athènes sans le Parthénon ? On y survit. Je ne suis pas le seul à avoir été attiré par ce farceur de Dioclétien. Les autocars, le monde, c’est un peu Cnossos. A la proue, dans le vent, quel calme.




15h30, Supertar, Brac, Hôtel Britanida auquel j’ai téléphoné depuis Split. J’ai dit mon heure d’arrivée, il m’attendent. Tout est fermé. Tourné trois fois avec mon gros sac autour du bâtiment pour trouver une porte ouverte. Un voisin aimable est en train de bricoler du ciment. Il m’explique en Croato-italiano-franco-gestuello-allemand que ça va bien finir par s’ouvrir. C’est l’heure de la sieste évidemment. C’est sympa comme endroit. Je cherche un bistrot en voiture, me coince dans les ruelles. Il n’y a que des sans-issue étroits. Parfois il y a quand même le choix, au bout d’une longue venelle, entre le sans-issue de gauche ou le sans-issue de droite. Le gros bourg semble déserté à cette heure, sauf le même vieillard assis sur un muret qui me regarde avec effarement passer quatre fois de plus en plus vite, deux fois en marche avant et deux fois en marche arrière. Cet hôtel fermé, cette ville morte, c’était le destin positif. Je  décide illico de partir à Bol, à une trentaine de kilomètres. En bord de route, dans la pinède, un chat m’adopte. 


Cinq heures, entrée de Bol. Je m’arrête et respire un bon coup. Ce coup là, j’ai peur.

Je l’aurai mérité cet hôtel de charme, le seul. Je parviens pil poil dessus. Il est ouvert. L’île est belle, Bol aussi, il faut juste que je m’habitue car je n'ai pas fait exprès d’être là. Chassé de Split par le trop, chassé de Supertar par le trop peu, choisi Bol parce que c’était simple à retenir et qu’il porterait chance à un francophone. Puisqu’on est dans les superstitions, l’endroit s’appelle « Villa Giardino », comme celui de Treviso. Six heures, bière et coucher du soleil sur le petit port. Juste l’animation qu’il faut, tout est ouvert, on n’entend parler que croate aux terrasses, ne manque que Ma : qu’elle aimerait cet endroit ! Ai donné ma lessive, un signe.
Sept heures et demie, pizzeria Topolino, le serveur  souriant fait des kms. Quatre jeunes-filles allemandes blondes. L’une laisse ses longs cheveux pendre, la deuxième les coince derrière les oreilles, elle réajuste à chaque mouvement de tête comme elle l’a vu faire dans les films, la troisième les a attaché en queue de cheval et la quatrième les a coupés à la garçonne. C’est la seule qui ne fait pas de mimiques. La queue-de-cheval fume, tient en même temps son verre, son couteau, sa fourchette et son téléphone, discute parfois avec les autres mais regarde surtout son portable. Je me sens moins seul qu’elle.

Arrive un guitariste chanteur. Son croate ressemble tellement à de l’anglais que je saisis parfois quelques mots. Plus je descends de cet excellent rouge, mieux il chante. « Café lungo », en Italie un dés à coudre, ici une bouillotte.
Le chat de la patronne est affectueux, une chatte, pas enceinte, seulement heureuse.

Bol, samedi 7 octobre – C’est le moment d’essayer l’adaptateur 220 volts acheté à Trévise, « Adattore Universale de Viaggio con Protezione », un embout général dans lequel glisser l’une des dix fiches possibles. La prise murale a deux trous ronds, mais j’ai quatre fiches mâles bifides de diamètres différents.
- Voyons, avant de fixer la bonne sur la pièce principale, tester si ça colle. 

Des deux pouces sur l’arrière, je pousse à fond dans la prise celle qui semble coïncider le mieux et me prends une décharge magistrale. C’était la bonne. Plus tard, je parviens juste à tenir mon couteau et ma fourchette. Une douleur résiduelle dans la poitrine et la sensation de sortir d'un shaker.

« I know how to kill too sticky boy friends », « totally sexy » affichent les tee-shirts des filles.


La Corne d’Or à Bol, du haut de la falaise à un kilomètre, c’est un pubis de femme avec une toison de pins d’Alep. Lorsqu’on y est, c’est une plage de galets qui font mal aux pieds.
Idyllique mais monotone, chambre, resto, apéro, photos, plage, Internet, Rhinocéros, shopping, apprendre à dire merci, bonjour, dix fois la route du bord de mer en vélo, ça sent le départ.

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