Sous l'aile du Katmandhu-Dehli RA205,
émergeants de la mer de brume, le Daulagiri, les Anapurnas, le Manaslu dans le
soleil éclatant de l'aube.
Puis le lit asséché du Gange, large comme les
dunes d'Aquitaine.
Quelques instants et pieds plus bas, la
fournaise et la multitude.
A Red Fort, toujours à la recherche d'Haddock
et de son petit copain, ils traversent la meute des guides et
vendeurs de babioles sans rien concéder, tour de force résultant de
la mise en condition népalaise.
- Suivez-moi sans rien dire, chuchote Ma à la descente du taxi qui les dépose le plus loin possible de l’entrée du fort.
- I am the guide rétorque-t-elle avec autorité aux vendeurs ambulants, fendant
leur foule.
Et levant le bras,
Et levant le bras,
- Follow me gentlemen, hurry up !
Dans Old Delhi, étouffés, meurtris, gorgés de
trompes stridentes, de la fumée âcre des pots, des pétarades, des cris des
poules égorgées, des violentes senteurs de poissons et d'épices, de bouchons
dans les ruelles de tout ce qui peut marcher et rouler, d'enfants gémissants
amarrés à eux, ils finissent par s'engouffrer dans le bathyscaphe de Sat Nam Waheguru.
A l'arrivée, une dernière traversée de
mendiantes, enfants dans leurs bras, agrippant les nantis, ils atterrissent au rayon meubles d'un grand
magasin de New Delhi. Air conditionné, canapés. L'ombre du moindre sari fait
néanmoins sursauter AJJ qui voit dans cet innocent morceau de tissu une
mendiante prête à lui arracher le bras.
Soudain, bref passage d'un couple de
musiciens ambulants qui, comme des montreurs d'ours, font danser et chanter à
coup d'engueulades un jeune enfant enturbanné.
Old Delhi laisse une impression mélangée de
Moyen-Âge et de Science Fiction. Moyen-Âge par le mode de vie, SF par la
multitude compacte et les éclairs de modernisme.
Alors que les trois lascars gisent sur la
banquette arrière, Ma, assise à l'avant, supporte vaillamment les assauts
d'un taximan particulièrement tenace. Il veut les amener faire du
shopping ou les conduire à l'aéroport alors qu'ils vont à une adresse
précise donnée déjà dix fois. Après avoir tourné cinq fois sur le cercle
extérieur de Conaught Place - il faut bien gagner sa vie - il les lâche, après 3/4 d'heure de route, à 200 mètres de la
prise en charge.
- A c'prix là, t'arrête un tax, tu lui file
60 roupies pour qu'y te prenne pas, marmonne AJJ!
Le «tranquille jardin du Maharani», chaudement recommandé par le GDR, s'avère être une
étroite bande de gazon, le long de la grand-route, où gisent une seule
table et quatre chaises qui semblent les attendre depuis la réincarnation de
Jésus en Mouhamad. Pour couvrir le vacarme, ils conversent à l'aide de mégaphones prêtés par la réception.
Re-taxi, conduit par un Sikh adorateur d'une sorte de Père Noël et ils arrivent enfin chez eux, les Spatiens. Dans l'air parfumé, sous la voûte gigantesque
et les immenses verrières, parmi les jets d'eau, les tapis, les musiques, les
ascenseurs damasquinés, les femmes orientales aux gestes lents, ornées de
chapeaux pastels, les vasques de fruits exotiques, ils tournent doucement
dans l'espace sidéral, la Terre grouillante au-dessous d'eux.
- Je n'aime pas beaucoup ces jeunes femmes
qui mendient avec un enfant dans leurs bras, professe AJJ en dégustant un plat délicieux dont une seule
bouchée représente mille salaires annuels de terrestres.
- Le violoniste a un style particulier.
- On se demande s'il joue des transcriptions asoniques modernes de vieilles rengaines.
- On se demande s'il joue des transcriptions asoniques modernes de vieilles rengaines.
Deux heures plus tard, le violoniste
accordait toujours. Ou bien, comme se le demandait Mat, jouait-il "La Vie
en Rose" façon Platine 1910 sur tender de loco à vapeur lancée à grande
vitesse...
- Plus je bois, mieux il joue.
- Il a un style très personnel.
- Il a un style très personnel.
Soudain, dans cette atmosphère aseptisée,
Germ frappe. Il pleure, la moque lui coule du
nez, il charogne et jure à haute voix, rouge comme un derrière de mandrill.
- Qu'est-ce-qu'il a à faire un
ramdam pareil, simplement parce qu'il a croqué un haricot, se demande AJJ ?
Plus tard, Mat s'y met aussi. Il se frotte
l'oeil après avoir touché le même haricot et précipitamment va se rincer l'oeil
aux toilettes. Il en profite pour s'asseoir sur le trône.
- T'es peinard, raconte-t-il,
tu t'installes et, tout à coup, en plein effort,
un geyser de flotte monte, te mouille jusqu'à la chemise. Et ça recommençait
automatiquement toutes les minutes. Je me disait "Cool, WC avec
marbre et tout ..."
Lorsqu'à minuit, ils quittent le Sheraton,
AJJ laisse 10 roupies au "Bell Captain", majestueux
dans son smoking impeccable. Il en a un haut-le-corps dédaigneux.
A Indira Gandhi Airport, lorsqu’un simple ivrogne
s’engouffre dans le même ascenseur qu’eux, l'AJJ est convaincu qu’on les attaque.
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