Depuis deux jours au Népal, AJJ est aux prises avec ses démons intérieurs à côté desquels la statuaire dédiée à
Kali fait pâle figure. Il fait beau et chaud. C'est l'été. les gens sont
charmants sauf les cireurs de godasses. Il est avec ceux qu'il aime, la ville
est d'une grande beauté contrastée. Et pourtant, il s'ennuie, il est décalé,
déprimé. Il n'est pas là, souhaite se trouver ailleurs. Les événements se précipitent. Ma, oubliant le torticolis d'AJJ, le serre amoureusement. Pour la quatrième fois consécutive, il hurle : Mais j'ai mal au cou, nom de Dieu, merde ! ; ça jette un froid. Tout s'est dilué peu après devant une tasse
de café matinal "triple strong" (légèrement plus clair que du thé),
sur un air indianisé de "Il était une fois dans l'Est".
Tout avait pourtant bien commencé. Arrivée en
Syldavie dans les années quarante. Superbe tampon en forme de Pélican,
inscription à la plume, sur le passeport de Mat, de la marque et du numéro de
sa vidéo. Dans le taxi qui les amenait en ville, les trois néophytes, pétris de
culture télévisuelle, avaient l'impression d'avoir pénétré dans un film.
Etait-ce le contraste avec leur
environnement habituel ? Etait-ce la banalité de telles scènes, tant et
tant de fois vues sur écran ? Plutôt la collision des deux. C'est là que le
début du mal s'est incrusté. Cette impression tout à la fois de scènes mille
fois vues et non vécues.
Mais revenons à ce mardi matin. Alors qu'il
allait mieux, une mendiante portant un bébé, puis un cireur de chaussures, se
sont donnés le mot pour l'enfoncer. Difficile de siroter paisiblement son café
et mordre dans un savoureux pain au raisins sous les yeux implorants de cette
femme. Germ craqua heureusement et, pour 5 roupies, la conscience d'AJJ fût
soulagée. Pas cher.
Ses compagnons ne chaussant que du tissu, AJJ
était la seule cible des cireurs. Ils l'ajustaient d'autant plus que ses
souliers étaient usés. Le prix à payer du look baroudeur.
Dorénavant, AJJ portera la godasse
"Europe" normale en Europe et, en Asie,
les pompes "Asie" toujours neuves et super lustrées. Il les lustrera
lui-même le soir dans sa chambre pour qu'on lui foute la paix dans la rue. Ce
troisième jour, ses chaussures sont toujours aussi cradocks. Combien de temps
parviendra-t-il à tenir face aux assauts toujours plus pressants des 123
cireurs homologués par le gouvernement royal
?
Le défi est d'envergure et sa défaite
programmée.
Première vraie rencontre en dessinant. Un
enfant est venu lui dire bonjour, souriant, ne demandant aucun argent.
Intrigué, silencieux.
La misère dans la rue et la splendeur des
temples.
Le comble de l'occidentalisme: commander un
milk-shake dans un resto tibétain à Bodnath. Germ a réussi l'impossible et les
séquelles de sa nuit blanche s'évanouissent dans le plaisir du frappé vanille.
Pour la première fois, ils mangèrent de la
salade car Ma leur avaient déclaré que les Tibétains tenaient leur promesse.
Comme il était écrit: "les vegetables sont lavés au permanganate de
soude", ils ne risquaient rien. Malgré le pro-tibétanisme suspect de Ma,
AJJ suivit le mouvement général. Il ne souhaitait pas, en bonne santé, avoir
trois malades sur le dos. Facture finale sur un air des Beatles et un
lit de cure-dents sculptés : 289 roupies, soit à peine Sfr 6.-- pour quatre, y
compris le milk-shake-banana-split. Et quels sourires, quelle gentillesse ! AJJ
prend quelques cure-dents pour les goyaves dont les pépins trouvent si aisément
le chemin de sa prémolaire droite supérieure.
Le mal serait-il la dépression nervous? AJJ a
de nouveau envie de fumer.
Avec son gilet de pêcheur norvégien, Mat dit
d'AJJ qu'il est venu pêcher le saumon au Népal. Il ne manquerait, selon lui,
que le moulinet d'argent à la ceinture et les cuillères métallisées aux poches
extérieures.
Germ et AJJ, envoûtés par le charme de
l'Orient, aspirent à la simplicité. L'un souhaite s'enfoncer seul dans
l'Himalaya, marchant des mois dans un univers hostile, l'autre aimerait vivre
quelques semaines en Saddhou à Calcutta. Malheureusement ces hautes aspirations
ne sont guère comprises par certains et Mat s'empresse de réduire Germ à l'état
de "Star-Trekeur" et AJJ à celui de "Saddhou-Gortex".
Ils ont trouvé un truc pour échapper aux c.g.
: se promener incognito en se tenant par la main.
Vous n'aurez pas été sans remarquer, cher
lecteur et bla-bla-bla. Bref, les lignes qui précèdent ont été écrites le soir
sous l'empire de l'alcool, celles qui viennent, avant le triple black du matin.
Ceci vous permettra de constater les effets ravageurs de l'alcool sur un esprit
sain.
Depuis le toit du quatrième, la
voisine bazarde ses détritus dans la rue . Elle récidive trois fois. Et floc,
plotch.
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